M Le bardo ante mortem

Le bardo ante mortem et l'introduction au Poa

de Lama Shérab Namdreul

Retranscription de Marie Anne

extrait d’un enseignement du cycle “mort et non-mort”

qui fait suite à celui des "cinq attitudes"

Vanitas

vanitas de Jacob de Gheyn

Le bardo ante mortem et l’introduction au Poa, transfert de conscience

Les trois bardos associés à la mort :
1) Le bardo ante mortem: le bardo du processus de la mort.
2) Le bardo du Dharmata : le bardo où émerge la nature même des phénomènes.
3) Le bardo post-mortem : le bardo du devenir

Le bardo ante mortem
Nous avons vu qu’à travers les cinq attitudes se retrouvent les cinq sagesses des cinq dhyanis Bouddhas. Dans ce chapitre "préparation à la mort", on  médite également les cinq éléments et les cinq agrégats. Il s’agit d’en avoir une bonne compréhension, d’abord intellectuelle et ensuite intérieure, c’est-à-dire constater leur fonctionnement en notre conscience. Sans compréhension, il sera difficile de pénétrer le processus de résorption des cinq éléments et agrégats à l’approche de la mort, le bardo ante mortem. Étudier, écouter pour bien comprendre de quoi çà retourne. Il serait même bien d’apprendre par cœur ce processus de résorption.

Comprendre les cinq éléments…

Aucune manifestation en dehors des cinq éléments
Les cinq éléments (Terre, Eau, Feu, Air, Espace) évoquent le principe génésiaque de toutes manifestations : les manifestations d’ordre matériel ; atomique, matériel, génétique, biologique etc… et bien sûr, les manifestations d’ordre idéelle ; mentale, psychique, imaginal, spirituel etc…
Toute manifestation  procède des cinq éléments. Il n’y a pas de manifestation en dehors des cinq Éléments. Aussi, quand vient la résorption des cinq éléments, il s’agit d'une transition de la manifestation. Pour être plus précis, la résorption des Éléments correspond à une transition de phase involutive qui relève elle-même d’une manifestation. Il n’y a pas de manifestation en tant que telle qui disparaîtrait et qu’une autre apparaîtrait ensuite. La manifestation est un continuum transitoire (tib. Mi Tak pa) de phase involutive en phase évolutive. Une respiration sans commencement ni fin. Un contiunum sans segmentation (tib. Mi Tak pa). Les segmentations que l’on prête à la manifestation ne peuvent être que des conventions relatives voire anthropocentriques. C’est valable pour toutes manifestations, que ce soit par exemple la manifestation de l'eau sous l'aspect liquide de l’eau qui transite sous l'aspect vapeur et inversement ou que ce soit la manifestation d’un univers dans sa phase expansive ou sa phase de résorption et inversement.

Pour ce qui est du bardo ante mortem, il s'agit d'une transition de phase concernant les manifestations des cinq sens et avènements mentaux (tib. Sèm Djoung) de l'esprit. Tout cela va se résorber dans un "pschitt" ! puis vient la séparation d’avec ce monde et ce corps et de nos identifications erronées. D’un certain point de vue, celui de l’inconscience, le terme "résorber" convient pour décrire le processus du bardo ante mortem. D’un autre point de vue, celui de la lucidité, il s’agit plutôt d’un processus d’affinage, de raffinement des éléments et des agrégats. Par un phénomène de distillation ou de sublimation, chaque élément et agrégat passent d’une excellence à l’autre. L’élément Terre échappe à notre saisie réductrice pour ex-sceller dans l’élément Eau. L’élément Eau lui-même va offrir de sa quintessence en l’élément Feu et ainsi de suite. À chaque stade du processus, il est possible d’être le témoin inaffecté en l’émergence de la vacuité de chaque élément et agrégat. Cet "affinage" se reconnaît du point de vue de la lucidité et cette lucidité ne sera pas affectée par des sentiments d’annihilation ou d'anéantissement à l’approche de la mort. Comprendre le processus de résorption va nous amener à comprendre qu’il n’y a pas en soi de disparition mais plutôt une transition de phase. On ne disparaît pas ! Tout se transforme, transite continûment et dans ce bardo du processus d’approche de la mort, cela se fait du plus grossier au plus subtil à la manière d’une distillation. Quelle que soit notre capacité d’attention, cette distillation se fera de toute façon ! bon gré ou mal gré, en conscience ou à notre insu, "avec nous" ou "sans nous". C’est cela, le véritable enjeu de ce bardo. Donc, développons les bonnes attitudes : évidence, justesse, quiétude, lucidité et franchise. Cela nécessite une ferme aspiration.

Comprendre les cinq agrégats (sct. Skandha)

Aucune cognition en dehors des cinq agrégats
Ensuite les cinq agrégats (Manifeste, Impression, Entendement, Réaction, Conscience) évoquent des processus cognitifs dont le lien causal est appelé "karma". Cinq processus cognitifs pour décrire l’organisation de notre esprit.
Pendant le processus du bardo ante mortem, dans le même temps que les cinq éléments, les cinq agrégats vont se résorber. Là aussi, du point vue de la confusion, ces résorptions donneront l’impression de se perdre jusqu’à un sentiment d’annihilation de son être. Sans entraînement spirituel, on éprouvera pour réel ce sentiment d’annihilation, donnant l’idée qu’il y a  quelque chose comme étant de la mort, comme un état ou un fait qui advient, qui nous arrive (cf. Vivement la mort). Cette saisie erronée se traduira par « je meurs » et donnera substance à un fantôme qu’on aura créé de toute pièce : la mort.
Notre mental est encombré d’un virus, comme pour un ordinateur. Ce virus est une saisie qui fausse notre cognition et qui nous illusionne. Cette saisie est un "mécanisme" mental ducteur. À l’égard des phénomènes, c’est un mécanisme de ification qui s’oppose à la nature transitoire des cinq éléments. À l’égard de sa personne, c’est un mécanisme d’entification (1) qui s’oppose à la nature continuum des cinq agrégats. Ce n’est pas évident de prendre conscience de cette saisie de alité aux phénomènes et d’identité à sa personne. S’il n’est pas possible de réaliser d’emblée cette saisie, on peut, par contre, constater les effets de cette saisie et de son illusion que sont la souffrance, le mal-être et les contrariétés existentielles (sct. Doukkha). Doukkha est le symptôme de cette maladie qu’on appelle "illusion". Je précise que l’illusion consiste à saisir une réalité et une entité alors qu’il n’y en a pas. N'étant pas reconnue comme l'espace de libération, cette vacance (vacuum) d'entité et de félicité induit un facteur compensateur, la soif qui ne peut que se confronter (cf. Discrimination) à la contrariété (sct. Doukkha).
Par exemple, du fait de la soif et de la saisie, le désir-attachement entraînera tôt ou tard la souffrance de ne pouvoir trouver en l’objet de désir une cause réelle de bonheur. Puis si l’on attribue à l’autre les raisons de nos déboires et déceptions, le désir-attachement se convertit en reproche, colère, sanction voire haine.
Ce n’est pas seulement au moment précis de la mort que nous sommes dans une illusion. C’est durant toute notre vie actuelle et, d’une vie à une autre à l’infini. C’est depuis des temps sans commencement que nous sommes dans l’illusion de la saisie et cela pour encore des temps sans fin si l’on ne réagit pas.
Si l’on veut se libérer de l’illusion et de la souffrance, il est indispensable de se tourner en notre propre esprit, « à l’intérieur » comme on dit, plus exactement "en même soi". Ce qu’on appelle couramment "méditer". Il y a d’abord une phase d’enstase (sct. Dhyana, tib. Samtèn) pour s’établir "en même" le courant cognitif puis une phase de contemplation (sct. Vipasana, tib. Lhaktong) pour discerner toute manifestation et sa vacuité d’entité. Ce qu’on acquiert par la méditation sera utile au moment de la mort car, par la force de la contemplation, on arrivera à se libérer de la saisie sur les cinq agrégats. Alors, dans le bardo ante mortem, par la lucidité acquise, on ne subira pas les résorptions des agrégats qui aboutissent au coma de la mort, mais on deviendra l’auteur d’un processus d’affinage, de raffinement des agrégats pour trouver son apogée en l’avènement de la Claire lumière de l’esprit. Sorte de Big Bang apocalyptique (2) qui est significative d'une transition de phase involutive arrivée à son apogée avant de passer en mode évolutif d'émanence.

Introduction au yoga de Poa, transfert de conscience
Les trois yogas qui s’exécutent à chaque bardo de la mort :
1) Le yoga de Poa : associé au bardo ante mortem.
2) Le yoga de Claire Lumière associé au bardo du Dharmata.
3) Le yoga du Bardo associé au bardo du devenir (post mortem)

1) Le yoga de Poa : associé au bardo ante mortem.
Poa est un des six yogas essentiels pratiqués dans le vajrayana. On le définit comme "le yoga par lequel on obtient l'état de Bouddha sans avoir pratiqué". Avec les instructions précises, un effort approprié et une confiance énergique, nous pouvons avoir rapidement des expériences significatives qui permettront d'appliquer avec succès ce yoga au moment de notre propre mort pour renaître en la sphère de félicité où préside à l'esprit la plénitude de la luminosité et de la sagesse.
L’entraînement durant cette vie consiste en la maîtrise du pranayama pour converger tous les souffles (sct. Vayou, tib. Loung) en le souffle vital (sct. Prana, tib Sok) conjoint (3) à l’esprit sous la forme d’une perle (sct. Bindou, tib. Tiglé) que l’on identifie à notre propre conscience. À ce moment-là, sous l’impulsion de notre aspiration, on visualise la perle s’élever en le canal central pour être éjecté par l’orifice pur (4) (sct. Brahma, tib. Sang Bou).
Le yoga de Poa permet de "zapper" les identifications aux cinq agrégats ce qui provoque un "saut" direct en une sphère cognitive dénuée, pure (sct. Brahma) de toute identification.
On divise les différents Poa en trois grandes catégories. Les Poa du Nirmanakaya, du Sambhogakaya et du Dharmakaya. Quel que soit le type de Poa, le transfert de conscience au moment de la mort s’exécute précisément où s’achève le bardo ante mortem. D’où l’importance d’être bien présent pendant la phase de résorption. Pour cela, il est bénéfique de méditer les cinq éléments et les cinq agrégats pour en avoir une expérience valide.
Voilà de façon concise une présentation du bardo ante mortem et du Poa.
Nous allons maintenant faire la prière de dédicace…

 

(1) L’action d’appréhender sa personne en tant qu’entité. Ne pas confondre avec le terme anglais entification qui définit l’action de donner une existence objective aux choses, ce qui correspond au terme "réification" en français.

(2) Apoacalypse (révélation). Littéralement "(chose) dé-cachée"

(3) Prana et Esprit ne sont jamais séparés tout comme les vagues et l'océan.

(4) Brahma est ici utilisé en tant qu’adjectif signifiant "pur" et non pas en tant que nom propre du Dieu Brahma. Contrairement au huit autres orifices du corps pouvant être chargé d’identification, l’orifice du sommet du crâne est dénué d’identification.